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Heures Supp
8 décembre 2021

De la terre à la musique

Hélène Barucq: Je suis un produit pur jus de l'université. J'ai fait la fac de maths à Bordeaux. J'ai été tentée par l'informatique, mais mes premiers cours cours m'en ont un peu dégoutée. Et puis, j'ai «rencontré les ondes» dans un projet avec le CEA et Bernard Hanouzet, et comme le sujet m'a conquis, j'ai choisi ce domaine pour ma thèse sous sa responsabilité. Je découvrais des dialogues fantastiques entre physique et mathématiques, et dans le même temps le plaisir du travail en équipe. J'ai changé alors d'avis sur l'informatique. C'est passionnant d'expliquer des phénomènes physiques avec des équations mathématiques. Mais c'est encore plus génial, cela prend vraiment son sens pour moi, quand on transforme les équations, les modèles mathématiques, en programmes informatiques. En réalisant des simulations numériques assistées de méthodes de visualisation avancées, sur peut alors voir un phénomène physique pour finalement en comprendre les moindres détails.
J'ai obtenu un poste de maître de conférence à l'Université de Pau, un peu par hasard. C'est là que j'ai commencé à travailler sur des sujets concrets, dans une collaboration avec Total. Et puis j'ai découvert Inria, et obtenu un poste de chercheuse dans l'institut. Cela m'a permis de monter une équipe à Pau. Je me dis parfois que j'aurais aussi bien pu devenir informaticienne parce que les logiciels me fascinent. Aujourd'hui, j'adore mon travail.
Nous avons entendu dire qu'une de tes caractéristiques, c'est la fidélité?
Oui! Je suis toujours à Pau, toujours à Inria. Certaines de mes collaborations durent depuis des années! Par exemple, je travaille depuis bientôt vingt ans avec Total et Henri Calandra. Nos objectifs ont bien évidemment évolué au cours de ces années, nous conduisant à travailler sur des sujets très variés. Aujourd'hui, nous travaillons ensemble sur des questions liées à la transition énergétique. Surtout, je suis restée fidèle au domaine, les équations des ondes. Bien sûr, j'enrichis sans cesse le groupe de gens avec qui je collabore; ils deviennent souvent des amis. Et pour les ondes, je considère les nouvelles applications, les nouveaux défis.
Que sont les ondes? En quoi consiste ton travail de chercheuse?
Quand une perturbation physique se produit, elle a provoqué une seule qui se propage en modifiant les milieux qu'elle traverse. Quand on jette un caillou dans l'eau, ça crée une onde à la surface. Quand on pince la corde d'une guitare, cela provoque une onde acoustique que les êtres humains à proximité ressentent avec des capteurs situés dans l'oreille. Il existe différents types d'ondes comme les ondes mécaniques qui se propagent à travers une matière physique qui se déforme, ou les ondes électromagnétiques et gravitationnelles qui elles n'ont pas besoin d'un tel milieu physique.
Les études du sol: simulation de la propagation d'une onde acoustique harmonique dans un milieu terrestre sur un domaine de taille 20 x 20 x 10 kilomètres cubes. Auteur fourni
Quelle est la place des mathématiques et de l'informatique dans l'étude du sous-sol?
Supposons que nous voulions cartographier un sous-sol pour découvrir des réservoirs d'eau pour de la géothermie. On pourrait faire des forages sans modélisation préalable; c'est gagné et ça peut être dangereux: on a vu des forages causer des éboulements très loin de l'endroit où ils étaient réalisés. Plutôt que faire ça, on va utiliser, par exemple, un camion qui vibre en cadence et générés des ondes. Les ondes se propagent dans le sol en gardant des traces de ce qu'elles rencontrent. Pour cartographier le sous-sol, on aimerait découvrir les discontinuités dans la composition de ce sous-sol, et ce qui se trouve entre elles. Pour ça, on va mesurer avec des capteurs les ondes réfléchies et analyseur ces données.
Cela demande de développer des modèles mathématiques et des méthodes numériques avancées. Cela demande aussi des calculs qui sont souvent réalisés de manière parallèle pour obtenir des simulations précises. En particulier, la détermination des paramètres physiques est un problème d'optimisation qui n'est pas simple car il admet des optimaux locaux qui peuvent ralentir ou empêcher la méthode de converger.
Mais on peut faire des trucs sympas. Par exemple, quand un train roule, les frottements sur les rails génèrent des ondes sonores, «tougoudoum, tougoudoum…». En analysant ces sons, on imagine bien qu'on peut détecter des malformations des rails, des traversées ou du ballast. En Chine, une équipe travaille même à faire des reconstitutions des propriétés du sous-sol à partir des ondes générées par un train. Juste en analysant le son du train!
Il existe des tas d'autres applications de ce type d'analyse. Par exemple, en médecine, l'analyse de la propagation d'une onde sonore peut donner des indications sur la présence d'une tumeur, et le même principe peut être appliqué pour réaliser une échographie.
imagerie sismique par inversion des formes d'ondes: en partant d'un milieu initial représentant le sous-sol (en haut), l'algorithme de minimisation itérative reconstruit un milieu (en bas à gauche) qui permet de reproduire les mesures. Dans cet exemple synthétique, le modèle sous-terrain est connu et représenté en bas à droite. Auteur fourni
Quels sont les freins de tels travaux?
Le principal frein est que souvent les données sont très bruitées. Pour reprendre l'analogie du cambrioleur, c'est comme si la pluie avait presque effacé les empreintes.
Un autre frein tient dans les besoins de calcul nécessaires exigés par la simulation. Si vous souhaitez cartographier un sous-sol dans un cube de 5 km d'arête, c'est véritablement des calculs massifs. On peut chercher de manière brutale à faire de plus en plus de calculs mais sur atteint rapidement des limites. On peut aussi essayer d'être astucieux avec les mathématiques ou la simulation. Dans un travail récent, par exemple, nous séparons un grand volume en petits blocs que nous analysons séparément; ensuite nous «recollons» les morceaux. On pourrait utiliser des bases de données de petits blocs comme ça, et des techniques de machine learning. Il faut essayer d'être la force brute, penser autrement.
Sur quoi porter principalement tes travaux aujourd'hui?
Je travaille sur l'héliosismologie, l'étude du soleil. Le soleil chante en permanence. Il produit des ondes acoustiques, des ondes à basse fréquence, avec une longue période, que l'on peut détecter par effet Doppler. Leur étude pourrait nous permettre de remonter à l'intérieur du soleil. En comprenant comment il is built, on espère apprendre à prévoir les irruptions solaires qui peuvent être dangereuses notamment pour nos satellites.
Spectre de puissance solaire correspondant à la propagation d'ondes acoustiques dans le soleil en fonction de la fréquence et du mode. Auteur fourni
On dispose déjà de cartographies du soleil, on peut même en trouver sur Internet. Mais on les aimerait beaucoup plus détaillé. Il faut bien voir la difficulté: le soleil n'a pas de surface comme la terre. La vitesse du son augmente avec la profondeur, tout est en permanence en mouvement.
Ce qui est intéressant pour nous c'est que les méthodes mathématiques à développer reposent sur les mêmes concepts que celles que nous utilisons dans le cadre de la propagation d'ondes dans le sol. Par contre, la physique est différente, plus complexe, par exemple, elle doit tenir compte du champ magnétique.

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